Conférence sur James et Poincaré aux archives Poincaré (Nancy II), 4 juillet 2008
admin | 4 juillet 2008Thibaud Trochu (Equipe ExEcO, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), donnera une conférence intitulée :
« Dans le champ de la conscience de l’inventeur » - ou comment Poincaré a utilisé la psychologie de James pour expliquer la genèse de ses découvertes ?
La conférence se tiendra en salle A-256, à 17h.
Comme le précise P.-E Bour, le conférencier devrait normalement apporter avec lui un certain nombre de documents intéressants trouvés dans des archives diverses (notamment à Harvard). Il sera présent au laboratoire avant 17h, et ceux qui le souhaitent pourront déjà bavarder avec lui et consulter ses ‘trésors’.
RESUME
En 1908, devant les membres de ‘l’Institut général psychologique’, Henri Poincaré a donné une célèbre conférence sur « l’invention mathématique » [cf. Science et méthode], où il faisait part de ses réflexions sur la genèse de ses découvertes. Il y expose comment, de son point de vue, lui apparaît l’histoire de ses efforts et de ses succès scientifiques. Mais il ne s’agit pas pour Poincaré de passer en revue les théorèmes qu’il a créés. Ce qu’il l’intéresse, dans cette conférence, ce sont les « circonstances psychologiques » de l’invention. Pour cela, il a recours à l’introspection. Or, les « faits frappants », dit-il, de son expérience de mathématicien créatif se trouvent dans les « illuminations subites » qu’il a éprouvées à certains moments donnés. Pour interpréter ces faits d’expérience, il évoque l’idée d’un « travail mental inconscient » capable de performances inouïes. Il est alors amené à envisager l’hypothèse d’un « moi subliminal » qui travaillerait sous le seuil de la conscience usuelle et qui aurait un « tact, une délicatesse, un goût » plus fins que le conscient. D’où vient cette hypothèse du moi subliminal ? Quels faits cherche-t-elle à expliquer ? En quoi renouvelle-t-elle le problème classique de l’inspiration ? Et finalement, qu’en conclut le mathématicien ?
Pour tenter de circonscrire les développements de Poincaré sur ce point, nous restituerons d’abord le contexte de cette conférence : à qui s’adressait-il ? Pourquoi souhaitait-il s’exprimer devant un public de « psychologues » ? A quels problèmes fait-il échos ? Il s’agit de détecter tout le champ implicite de cette intervention. A partir d’une analyse de son vocabulaire, du contexte d’écriture de cette conférence et d’un petit détour sociologique, nous voudrions établir le fait que le grand mathématicien s’est servi des idées du philosophe américain, William James : de sa psychologie descriptive de l’expérience religieuse notamment, mais aussi de ses investigations sur les états mentaux exceptionnels – autant « d’explorations de la région subliminale de l’esprit ». Cependant, s’il est possible de retracer ici une telle ligne d’influence de James sur le mathématicien français, elle n’est ni directe, ni explicite. D’autres acteurs ont joué un rôle crucial dans cette « transmission » d’idées ; aux premiers desquels, Emile Boutroux, mais aussi les psychologues expérimentaux tels que Pierre Janet, Fréderic Myers ou encore Théodore Flournoy. Toute une littérature sur la psychopathologie, l’hypnotisme et les recherches parapsychiques qui précède la « découverte » freudienne de l’Inconscient.
Ce n’est donc pas à l’établissement d’une filiation - seulement à moitié légitime, mais plutôt à la cartographie d’un « moment philosophique » que nous voudrions contribuer, de manière à retrouver les problèmes abordés par tout un réseau international de savants et de philosophes au seuil du XXème siècle. Par exemple, la relation de James à Ernst Mach pourrait elle aussi nous aider à caractériser cette période et l’intérêt alors suscité par le problème des conditions psycho-physiologiques de l’invention. Ce dernier écrit au philosophe américain en 1903 : « votre livre étrange et pénétrant, Les variétés de l’expérience religieuse, m’a puissamment captivé, l’inspiration religieuse est certainement très similaire à l’inspiration scientifique : ce que l’on éprouve lorsque de nouveaux problèmes se présentent d’eux-mêmes sous une forme qui n’est pas encore tout à fait claire – on a le regard vague de celui qui est happé par une profondeur insondable ».